pourquoi avoir choisi de le nommer IÉsaïe ?
Il y a quelques années à Jérusalem, un archéologue trouvait parmi plus d’une trentaine d’autres traces de sceaux un tout petit morceau rond d’argile mesurant seulement 1 cm. Cette empreinte vieille de 2700 ans avait été perdue à l’Ophel, au sud du Mont du Temple (Esplanade des mosquées) à Jérusalem-Est, à trois mètres d’un autre sceau reconnu comme ayant appartenu au roi Ezéchias, roi de Juda vers la fin du VIIIème siècle av. J.-C., un roi contemporain des prophètes Michée et IÉsaïe.
Le sceau laisse clairement apparaître dans une ancienne écriture hébraïque le nom “Yesha’yah” (le nom hébreu d’IÉsaïe), suivi des lettres hébreues “ n v y ” ou “ n b y ”. Ces dernières pourraient correspondre soit à un nom de famille, soit au début du mot “ n b y ’ ” qui signifie “prophète”. Malheureusement, l’empreinte du sceau est brisée… Était-ce là la signature du prophète ?
(d‘après le site internet www.Terresainte.net on trouvera une discussion plus approfondie concernant cette découverte à l’adresse https://www.archeobiblion.fr/un-sceau-du-prophete-isaie/)
)
Bonne lecture à toutes et tous !
1-
Introduction historique
La lecture du titre du livre d’IEsaïe (1,1) nous apprend que le prophète est fils d’Amotz et qu’il a vécu dans le royaume de Juda, à Jérusalem, aux jours des rois de Juda Ozias, Yotam, Achaz et Ezéchias, rois de Juda. Il serait donc né vers 760 et aurait exercé son « ministère » de prophète entre 734 et 701 avant notre ère.
Dans quel contexte historique ?
Rappelons qu’il existe à cette époque (= au début de la 2ème partie du VIIIème siècle, le Royaume d'Israël sera incorporé à l'empire assyrien après 720) deux pays qui revendiquent l’héritage de l’histoire d’Abraham, Jacob, Moïse ou David : au nord, autour de la ville de Samarie, le Royaume d’Israël et au sud celui, plus petit, de Juda avec Jérusalem comme capitale. À la suite de l’arrivée au pouvoir en Assyrie de Tiglatphalazar III (il règne entre 744 et 727), le roi du Royaume du Nord, Israël, verse un tribut à l’Assyrie et reconnaît son roi comme suzerain. Mais vers 735 son successeur, Pegah, forme une coalition avec le Royaume araméen dont la capitale est Damas contre l’Assyrie. Les coalisés cherchent à convaincre Achaz le roi du sud (Juda) de se joindre à eux, mais celui-ci refuse. Israël et Aram déclarent la guerre au royaume de Juda. C’est la guerre appelée “syro-éphraïmite” selon une expression qui remonterait à Martin Luther (Syro pour la Syrie, pays des Araméens, Ephraïm pour Israël dont Ephraïm est la plus puissante des tribus). Pour se défendre, le roi Achaz de Jérusalem devient vassal de l’Assyrie et verse un tribut. Tiglatphalazar intervient contre Damas et conquiert le Royaume d’Aram.
Selon IEsaïe 7, 1-17, le prophète IEsaïe avait invité le roi Achaz à faire confiance à Yhwh plutôt qu’aux assyriens, mais il n’a pas été écouté… le prophète semble s’être retiré, de gré ou de force, de la vie publique pendant une dizaine d’années.
Dès 732 une partie du royaume du Nord, Israël, passe sous administration assyrienne. Osée, le roi d’Israël cherche à échapper à cette vassalité mais Salmanazar V, nouveau roi d’Assyrie le fait arrêter, envahit Israël et prend sa capitale Samarie. Son successeur Sargon II aurait déporté la population de Samarie (27280 personnes d’après les textes assyriens).
De son côté, le roi de Juda, Achaz, se soumet à Sargon II. Dans sa capitale, Jérusalem, de nombreux réfugiés du royaume d’Israël viennent s’installer. Ils amènent avec eux leurs traditions religieuses ainsi certainement que des manuscrits qui vont être recopiés. Plusieurs d’entre eux feront un jour partie de la Bible. Se pose alors la question de savoir quelle attitude adopter pour éviter à Jérusalem le désastre de Samarie. Achaz associe son fils Ezéchias au trône. IEsaïe voit dans ce jeune souverain une source d’espérance.
Vers 716 Ezéchias monte sur le trône de son père. Par rapport à ce dernier, il change alors d’attitude à l’égard de l’Assyrie et entreprend des travaux importants pour préparer Jérusalem à subir un siège (fortification des murailles, creusement d’un tunnel pour l’alimentation en eau de la ville).
vue de l’intérieur du tunnel d’Ezéchias
au niveau de la source du Guihon
inscription en hébreu trouvée au débouché du tunnel qui raconte comment les ouvriers ont pu tailler cet ouvrage dans le rocher
À la mort de Sargon, son fils Sennachérib lui succède.
Finalement, le royaume de Juda se retrouve seul face à l’armée assyrienne qui envahit le pays. Sénnachérib s’empare de 46 places fortes et aurait fait 200150 prisonniers (d’après les archives assyriennes).
Dessin de la prise de Lakish au sud ouest de Jérusalem d’après un bas-relief assyrien exposé au British Museum de Londres. On voit les assaillants assyriens et les défenseurs judéens, ainsi que les premiers prisonniers qui fuient la cité (palais sud-ouest de Ninive ville moderne de Mossoul en Irak actuellement exposé au British Museum de Londres)
En 701, le roi assyrien Sennacherib met le siège devant Jérusalem, mais doit abandonner. Les archives assyriennes confirment que la ville n’a pas pu être conquise, ce qui a donné lieu à plusieurs interprétations.
Si le livre d’IEsaïe y voit le résultat de l’intervention du Seigneur, l’historien juif Flavius Josèphe qui écrit au premier siècle de notre ère (soit 700 ans après les faits) évoque une épidémie de peste qui aurait décimée l’armée assyrienne. Autre hypothèse (défendue notamment par l’exégète Jacques Briend) : le roi de Juda a dû accepter de verser un lourd tribut et de reconnaître ainsi la suzeraineté assyrienne…
Dans le même temps, selon IEsaïe 39, le roi de Babylone Mérodach-Baladan, ennemi des Assyriens, envoie une ambassade auprès d’Ezéchias. Il souhaite faire de Juda un allié. Ezéchias cherche d’autre part à conclure une d’alliance avec l'Égypte. IEsaïe s’oppose à cette politique ( IEsaïe 28, 14-18). Il annonce l’invasion par les Babyloniens de son pays, invasion qui aura lieu un siècle plus tard…
C’est à peu près de cette période que datent les derniers épisodes rapportés dans le livre d’IÉsaïe concernant ce prophète aux chapitres 1 à 39.
Avec le chapitre 40, nous sommes plongés dans un autre contexte historique, celui du début de l’hégémonie perse qui s’ouvre vers 530 avant notre ère. Entre temps les Assyriens ont été vaincus par les Babyloniens qui avec Nabukadnetsar (le Nabochodonosor des historiens grecs) vont à deux reprises, en 596 et 587 prendre Jérusalem, la détruire et en déporter les habitants. Les prophètes Ézéchiel et Jérémie en seront les témoins directs, le premier étant déporté à Babylone, le second exilé en Égypte.
À partir de 538 l’édit du roi perse Cyrus dont le nom apparaît en IÉsaïe 44,28 permet aux exilés du Royaume de Juda de revenir à Jérusalem et de commencer à reconstruire la ville et son temple.
On ignore le nom du ou des prophètes qui s’expriment dans la deuxième partie du livre d’IÉsaïe : chapitres 40 à 55 (appelé parfois le Deutéro-Ésaïe / Deutéro-Isaïe) puis 56-66 (Trito-Ésaïe ou Trito-Isaïe). Il est assez difficile de dater ces textes dont la rédaction puis l’édition en un seul livre prendra encore plusieurs dizaines d’années.
Le plus ancien manuscrit du livre trouvé parmi les rouleaux de Qoumran (“les manuscrits de la Mer Morte) daterait selon les épigraphistes du deuxième siècle avant notre ère.
Et pour aller plus loin, on pourra consulter :
-Jacques Briend, Le royaume de Juda face à l’Assyrie, coll. Le monde de la bible, Folio, Gallimard.1998.
- M. Liverani, la bible et l’invention de l’histoire, Bayard 2008
- Joëlle Ferry, Isaïe « comme les mots d’un livre scellé », Lectio Divina, Cerf, Paris 2008
- Anne-Marie Pelletier, le livre d’Isaïe. Une histoire aux prises avec la prophétie. Cerf, Paris 2008.
- Jacques Vermeleyn. Le livre d’Isaïe. Une cathédrale littéraire. Cerf, Paris 2014
- Jean-Daniel - Macchi, Christophe Nihan, Thomas Römer, Ian Rückl (éd.) , Les recueils prophétiques de la Bible. Origines, milieux, et contexte proche-oriental, Labor et Fides, (Genève, 2012) :
Jacques Vermeylen, Des rédactions deutéronomistes dans le livre d'Ésaïe ? p. 146-187
Jean-Daniel macchi, Deutéro-Esaïe : enjeux et recherche, p. 188-200
Christophe Nihan, L'histoire rédactionnelle du "Trito-Esaïe" un essai de synthèse, p. 201-228
Jean-Daniel Macchi et Christophe Nihan, Esaïe 54-55, 229-251
- Cahier Evangile n° 23., éditions du Cerf
- Revue Biblia n°22, Éditions du Cerf
5ème étape IÉsaïe 7,1-22
Ce récit renvoie au temps du roi Achaz et de la guerre syro-éphraïmite (voir introduction historique). Les royaumes d’Israël (appelé aussi ici Ephraïm et dont le roi est alors Péquah) et d’Aram (capitale : Damas avec son roi Retsîn) se sont alliés pour résister aux Assyriens. Ils veulent obliger le roi Achaz de Jérusalem à se joindre à eux et, pour cela, lui déclarent la guerre. On peut se référer au tableau suivant pour situer les différents protagonistes de cet épisode :
rois de Juda |
rois d’Israël |
rois de Damas (Aaram) |
781-740 Azarias
740-735 Yotam
735-728 Akhaz
728-701 Ezékias d’abord à partir de 716 : vice-roi puis roi 701 siège de Jérusalem 687-642 Manassé … |
787-757 Jéroboam II 757-746 Zacharie 746-736 Menahem
736 Peqah (yah) 732-722 Osée
721 prise de Samarie par les Assyriens / déportation |
796-792 Ben Hadda III
Retzin / Raçon 732 invasion assyrienne déportation |
texte biblique (d'après la Nouvelle Bible Segond)
1 Aux jours d'Achaz, fils de Jotam, fils d'Ozias, roi de Juda, Retsîn, roi d'Aram, alla faire la guerre à Jérusalem avec Péqah, fils de Remalia, roi d'Israël, mais il ne put engager le combat contre elle. 2 On dit à la maison de David : “Aram occupe Ephraïm.”
Le cœur d'Achaz et le cœur de son peuple se mirent à frémir comme les arbres de la forêt sous le vent.
3 Alors le SEIGNEUR dit à IÉsaïe : “ Sors, je te prie, à la rencontre d'Achaz, toi et Shéar-Yashoub, ton fils, vers l'extrémité de l'aqueduc du réservoir supérieur, sur la route du Champ du Teinturier.
4 Tu lui diras : « Sois tranquille, n'aie pas peur, que ton cœur ne mollisse pas devant ces deux bouts de tisons fumants, devant la colère ardente de Retsîn, d'Aram et du fils de Remalia ! 5 Puisque Aram – avec Ephraïm et le fils de Remalia – projette de te faire du mal, en disant : 6 « Partons à l'attaque de Juda, nous épouvanterons la ville, nous la battrons en brèche jusqu'à ce qu'elle se rende, et nous installerons un roi au milieu d'elle, le fils de Tabéel », 7 ainsi parle le Seigneur DIEU : Cela ne tiendra pas, cela n'aura pas lieu. 8 Car la tête d'Aram, c'est Damas, et la tête de Damas, c'est Retsîn. – Encore soixante-cinq ans, Ephraïm, brisé, ne sera plus un peuple. – 9 La tête d'Ephraïm, c'est Samarie, et la tête de Samarie, c'est le fils de Remalia. Si vous n'avez pas foi, vous ne tiendrez pas ! »”
10 Le SEIGNEUR dit encore à Achaz : 11 “ Demande un signe au SEIGNEUR, ton Dieu, n’importe où, que ce soit dans les profondeurs du séjour des morts ou dans les lieux les plus élevés.”
12 Achaz répondit : “ Je ne demanderai rien, je ne provoquerai pas le SEIGNEUR. ”
13 IÉsaïe dit alors : “ Écoutez, je vous prie, maison de David ! Ne vous suffit-il pas de lasser la patience des hommes, que vous fatiguiez encore celle de mon Dieu ? 14 C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : la jeune fille est enceinte, elle mettra au monde un fils et l'appellera du nom d'Emmanuel (en hébreu : “Dieu avec nous”). 15 Il se nourrira de lait fermenté et de miel quand il saura rejeter ce qui est mauvais et choisir ce qui est bon. 16 Mais avant que l'enfant sache rejeter ce qui est mauvais et choisir ce qui est bon, la terre des deux rois qui t'épouvantent sera abandonnée. 17 Le SEIGNEUR fera venir sur toi, sur ton peuple et sur ta famille, des jours tels qu'il n'y en a pas eu depuis le jour où Ephraïm s'est éloigné de Juda – le roi d'Assyrie.
18 En ce jour-là, le SEIGNEUR sifflera les mouches qui sont aux extrémités des bras du Nil, en Égypte, et les abeilles qui sont en Assyrie; 19 elles viendront et se poseront toutes dans les pentes abruptes des oueds et dans les fentes des rochers, sur tous les buissons et sur tous les pâturages.
20 En ce jour-là, le Seigneur rasera avec un rasoir loué au-delà du Fleuve – avec le roi d'Assyrie –la tête et le poil des jambes; il enlèvera aussi la barbe.
21 En ce jour-là, chacun aura une génisse pour tout gros bétail et deux têtes de petit bétail. 22 Il y aura une telle abondance de lait qu'on se nourrira de yaourt; oui, c'est de yaourt et de miel que se nourrira quiconque sera resté dans le pays…”
(d’après la Nouvelle version Segond)
Cette histoire nous rappelle le récit lu lors de notre 2ème étape à propos du roi Ézéchias. En fait Ézéchias est le successeur d’Achaz et c’est son histoire qui, dans le livre d’IÉsaïe fait écho à celle d’Achaz. Comment vous apparaissent ces deux rois ?
l’histoire du roi Akhaz nous est aussi rapportée en 2 Rois 16 où il n’est pas question de l’intervention du prophète IÉsaïe. Akhaz y est présenté comme un roi qui ne suit pas l’enseignement du SEIGNEUR, allant jusqu’à sacrifier son propre fils. Sous la pression des royaumes araméens et édomites, il finit par s’allier avec les Assyriens qui s’emparent de Damas. Sur le plan religieux Akhaz est aussi accusé d’avoir ordonné de placer dans le temple de Jérusalem un temple copié sur un modèle araméen et d’avoir lui-même offert des sacrifice sur cet autel. Si on compare les deux récits d’IÉsaïe 7 et 2 Rois 16, on peut en tirer la conclusion que le roi n’a pas tenu compte des avertissements du prophète. Placé dans une situation similaire, Ezéchias va au contraire s’humilier et rechercher la parole du prophète.
Comparez les deux signes qui leur sont donnés. Qu’en pensez-vous ?
Le signe donné à Achaz n’est pas n’importe quel prodige. Comment l’interprétez-vous ?
Pour comprendre le discours d’IÉsaïe et en quoi consiste le signe qu’il propose — le texte (v. 10) suggère même que c’est le SEIGNEUR lui même qui s’adresse au roi mais on peut penser qu’il le fait par l’intermédiaire du prophète — on peut se reporter au chapitre suivant (IÉsaïe 8,1-4) où le prophète semble reprendre la même démarche pédagogique. Dans les deux cas, il annonce la proche naissance d’un enfant et ajoute un heureux dénouement pour le pays qui coïncidera avec le temps où l’enfant aura atteint l’âge de raison (IÉsaïe 7) ou quand il saura parler (IÉsaïe 8). En fait, il n’y apas vraiment de « prodige » sans ce qu’annonce le prophète si ce n’est qu’il promet la paix dans un moment particulièrement critique pour son pays. Pour ce qui est d’IÉsaïe 7, le terme hébreu qui désigne la future maman peut se traduire par « jeune fille » ou « jeune femme ». On ignore qui elle est et plusieurs hypothèses ont été avancées à son sujet : princesse, épouse ou concubine du roi voire prophétesse en IÉsaïe 8 … ? Le signe réside moins dans sa grossesse annoncée que dans le fit que, quand l’enfant aura 8 ou 9 ans, les deux états qui menacent le pays de Juda ne seront plus. Si on situe cette histoire dans les années 736-735 avant notre ère, ce signe s’est effectivement accompli puisque le Royaume de Damas a été envahi en 732 par les Assyriens comme l’Israël de Samarie en 721.
En ce sens le signe donné à Ézéchias est tout autre mais il concerne aussi une personnalité très différente qu’Akhaz. Ce qui relie toutefois les deux histoires peut être mis en relation avec la vie. Ce qui fait signe pour les croyants de l’époque d’Akhaz, c’est déjà que dans la situation très tendue qu’ils sont en train de vivre (guerre contre Aram et Israël et menace de guerre contre l’empire assyrien), Dieu donne vie à des enfants à qui est promis la paix. Il est, selon le nom donné au bébé à naître en IÉsaëi 7, avec nous, non pas pour entériner tout ce que nous entreprendrons mais pour nous accompagner sur les bons ou mauvais chemins que allons prendre.
Ce texte est surtout célèbre parce que les chrétiens y ont vu l’annonce de la naissance de Jésus (voir Matthieu 1,22-23). Mais quel rôle jour l’annonce de la naissance d’Emmanuel dans le message du prophète IÉsaïe ? Comment comprenez-vous la notion d’accomplissement des Écritures ?
Comme Luc, Matthieu dans les premières pages de son évangile veut affirmer que Jésus est Fils de Dieu. De là l’insistance de ces deux évangélistes sur la virginité de Marie qui n’est pas enceinte d’avoir eu une relation sexuelle avec Joseph mais à la suite de l’intervention du Saint Esprit. Pour transmettre cette mise en récit de la vérité théologique de la divinité de Jésus, Luc raconte la visite de l’ange à Marie et l’intervention de Dieu d’abord en vue de la naissance de Jean Baptiste puis de celle de Jésus. De son côté Matthieu raconte la même histoire mais du point de vue de Joseph. Et pur convaincre Joseph et son lecteur, Matthieu fait intervenir trois intermédiaires ou canaux auquel le croyant juif est habitué lorsqu’il s’agit de communication divine : le songe (ou rêve), l’ange et la Bible. Dans un rêve, Joseph, qui sait que Marie est enceinte, voit venir à lui un ange qui lui demande de prendre Marie avec lui. Dans la Bible Dieu parfois parle aux rois (Pharaon dans l’histoire de Joseph, fils de jacob, Salomon, ou les rois de Babylone et de Perse contemporains de Daniel). Or la longue généalogie par laquelle Matthieu ouvre son évangile est là pour attester que Joseph est un descendant de David; il appartient à la lignée des rois de Jérusalem. Pour être plus convaincant auprès de son lecteur, Matthieu ajoute au rêve et à l’ange, une troisième manière pour Dieu de parler aux humains : la Bible. Il va dont tirer du texte d’IÉsaïe le verset 14 de notre texte qui, lu dans la traduction grecque, peut avoir pour sens que « la vierge aura un fils ». De cette manière, il confère au texte biblique et à l’épisode d’IÉsaïe 7 un sens que nul n’avait soupçonné jusqu’alors : il annonce la naissance de Jésus, fils de Marie et fils de Dieu.
Ces petites statuettes en terre cuite sont conservées au musée du Louvre pour celle du haut et au musée national archéologique d’Athènes pour celles du bas. Elles proviennent vraisemblablement toutes de Chypre. On peut en voir de semblables au musée de Nicosie ainsi qu’au musée Bible et Orient de l’université de Fribourg (Suisse). Les datations en ce qui les concerne sont peu précises, allant du VIIIème siècle au IVème siècle avant notre ère. On peut y voir deux femmes : la première debout soutient et ceinture de ses bras la seconde, qui est assise à même le sol. La femme assise (en haut) ou debout (en bas) est certainement en train d’accoucher, encouragée dans ses efforts par celle qui se tient derrière elle, tandis qu’une autre femme, sans doute la sage-femme, devait se tenir en face d’elles, prête à recevoir le nouveau-né.
On suppose qu’il s’agit d’ex-voto, dédiés à une déesse protectrice des femmes enceintes, à une époque où de nombreuses femmes mourraient en couches.
Pour aller plus loin (si on lit l’allemand) :
Othmar Keel – Silvia Schroer, Eva — Mutter alles Lebendigen, Frauen- und Göttinnenidole aus des Alten Orient, Presses académiques de Fribourg CH, 2004, p. 214-215
une réflexion théologique :
Parce qu’elle représente le point suprême dans la lignée de ceux qui ont reçu la Promesse et attendent le Seigneur, Marie appartient à l’humanité, elle représente l’être humain en face de Dieu, l’être humain qui a besoin de la grâce et qui reçoit la grâce. Et cet être, même si la promesse qu’il a reçue a un caractère unique, manifeste clairement que recevoir la Promesse signifie d’abord : être humain. C’est à dire : croire, être dépendant, penser dans la foi, agir dans la foi. S’il est quelqu’un qui soit des nôtres, tout proche, impliqué au plus profond de la misère humaine et de la Promesse divine, c’est bien Marie que l’ange de Dieu vient visiter chez elle et appelle à la place extraordinaire que Dieu lui fait la grâce d’occuper. Cette place extraordinaire, c’est précisément la preuve qu’il n’y a pas de surhumanité, qu’il n’existe aucune possibilité humaine de devenir divin, aucune aptitude chez l’homme à se faire médiateur entre Dieu et lui.
Karl Barth, Avent, Éditions Roulet, Genève 1948
dessin d’Ivan Steiger
un poème
Une heure du matin la nappe est en toile bleue Et nos livres y sont posés Souriants, sincères, courageux Je suis revenu de ma captivité, ma belle de la tourelle de mon ennemi dans mon propre pays. Il est une heure du matin. Nous n’avons pas éteint la lampe Ma femme est couchée à côté de moi Elle est à son cinquième mois Et quand ma chair frôle sa chair Quand je pose ma main sur son ventre Le bébé tourne et retourne Ainsi la feuille sur la branche le poisson dans l’eau l’enfant de l’homme en la matrice Mon petit La premier chandail de mon petit de laine rose Sa mère l’a tricoté. Le corps, un empan de mon poing Et les bras – c’est grand comme ça ! Mon petit, Si c’est une fille Je veux de pied en cape qu’il ressemble à sa mère Si c’est un garçon Que sa taille soit pareille à la mienne Si c’est une fille Qu’il regarde avec des yeux couleur de noisette Si c’est un garçon Que son regard soit immensément bleu
|
Mon petit Je ne veux pas qu’on le tue à vingt ans Si c’est un garçon sur le front Si c’est une fille En pleine nuit dans les abris Mon petit Qu’il soit fille ou garçon À n’importe quel âge Je ne veux pas qu’on l’emmène en prison Parce qu’il est pour la beauté, la justice et la paix Mais il est clair Mon fils ou ma fille Que si le jour tarde tu vas te battre et même… C’est un dur métier, chez nous, de nos jours que celui de père Il est une heure du matin Nous n’avons pas éteint la lampe Peut-être que dans un moment, À l’aube, peut être Ma maison va être forcée On m’arrêtera, on m’emmènera avec mes livres Les flics de la police politique à mes côtés Je me retournerai et je regarderai Ma femme restera sur le pas de la porte Et dans son ventre plein et lourd Le bébé tournera et se retournera
Nazim Hikmet poète turc souvent emprisonné pour ses écrits 1901-1963 |
***
4ème étape- IÉsaïe 6
Traditionnellement appelé « vocation d’Isaïe », ce chapitre ne se trouve pas au début du livre. IÉsaïe aurait donc commencé à parler en prophète avant sa vocation ! Comme le signale le titre du livre en IÉsaïe 1,1 Ozias est vivant quand le prophète commence à s’exprimer. En IÉsaïe 6,1 on nous annonce qu’il est mort. La “ vocation” d’IÉsaïe a eu lieu alors que le prophète était déjà en action. Comme pour chacun d’entre nous et comme le dit le proverbe « c’est en forgeant qu’on devient forgeron ».
1 L'année de la mort du roi Ozias, j'ai vu le SEIGNEUR assis sur un trône très élevé. Le bas de son vêtement remplissait le palais.
2 Des seraphim se tenaient au-dessus de lui; ils avaient chacun six ailes : deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les pieds, et deux avec lesquelles ils volaient. 3 Ils s'appelaient l'un l'autre et disaient : “ Saint, saint, saint est le SEIGNEUR des multitudes ! Toute la terre est remplie de sa gloire ! ”
4 Les soubassements des seuils frémissaient à la voix de celui qui appelait, et la Maison se remplit de fumée.
5 Alors je dis : “ Malheur à moi car je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres impures, et c'est le Roi, le SEIGNEUR des Multitudes, que mes yeux l’ont vu ! ”
6 Mais l'un des seraphim vola vers moi, avec à la main une braise prise avec des pincettes sur l'autel .7 Il toucha ma bouche et dit : “ Voici : ceci a touché tes lèvres ta faute est enlevée, ton péché est couvert. ”
8 J'entendis la voix du SEIGNEUR qui disait : “ Qui enverrai-je ? Qui ira pour nous ? ”
Je dis : “ Me voici, envoie-moi ! ”
9 Il dit “ Va ! Tu diras à ce peuple : « Écoutez toujours, mais ne comprenez pas ! Regardez toujours, mais ignorez tout ! » 10 Engraisse le cœur de ce peuple, alourdis ses oreilles et colle lui les yeux, de peur qu'il ne voie de ses yeux, que, de ses oreilles, il n 'entende, que son cœur ne comprenne, qu'il ne revienne et ne soit guéri. ”
11 Je dis : “ Jusqu'à quand, Seigneur ? ” Il dit : “ Jusqu’à ce que soient dévastées les villes faute d’habitants les maisons faute d’êtres humains et que le sol [soit] dévasté.” 12 Le SEIGNEUR éloignera l’être humain si bien que le pays sera totalement déserté. 13 Si une petite partie s’en sort, elle retournera au feu comme chênes et térébinthes qui gardent leurs troncs. Sa souche est une semence sacrée.
***
on peut lire ce texte comme formé d'une description d'une vision suivie l'action d'un seraphim (sur ce mot, voir plus bas) et un dialogue entre le prophète et son SEIGNEUR. La scène se déroule dans la Maison dont on apprend que le soubassement des seuils s'est mis à trembler (verset 4)
on peut envisager ce texte selon plusieurs point de vue.
on peut y voir un récit intime d’un homme qui a fait la rencontre qui a changé sa vie. La description qu’il donne ou paraît donner de la divinité est ancrée dans la culture spécifique de son temps, d’où l’image des seraphim, ces cobras sacrés qui ornent la couronne des rois d’Égypte et dont on retrouve l’image sur des sceaux de l’époque du prophète en Judée. Maissi’il s’agit d’un récit intime, comme la page d’un journal tenu par JÉsaïe lui-même et pour lui-même, on peut être choqué voir scandalisé par le demande que lui fait YHWH lui même de masquer à son peuple la réalité jusqu’à ce que s’accomplisse la destruction du Royaume.
On peut y voir aussi le récit que le prophète IÉsaïe transmet à son peuple de sa vocation. Le prophète n’est pas comme le prêtre et le roi dont la charge se transmet de père en fils. Le roi comme le prêtre y trouvent leur légitimité. Ils sont rois parce que fils de roi, prêtre parce que fils de prêtre. Tel n’est pas le cas du prophète qui doit faire valoir l’appel que Dieu lui a adressé et qui seul construit sa légitimité. Or souvent, et c’est le cas pour IÉsaïe, le prophète doit tenir un discours critique, difficile à entendre. Les prophètes sont souvent des prophètes de malheur. Or que dit IÉsaïe de l’appel que Dieu lui a lancé sinon qu’il est paradoxal : ne rien révéler, boucher les oreilles et les yeux, de peur que le peuple ne se convertisse, qu’il ne change et soit sauvé. Ce sont là des véritables injonctions paradoxales au même titre que « sois spontané ! » ou « pas de panique ! ». Elles disent le contraire de ce qu’elles sont destinées à produire dans l’esprit des auditeurs.
On peut enfin y voir, dans l’optique de l’ensemble du rouleau du prophète IÉsaïe comme l’itinéraire qui sera celui du peuple de Juda qui, refusant les messages de ses prophètes, prendra le chemin qui le conduira à la catastrophe de la destruction du tempe et de l’exil à Babylone. Mais par delà cet incendie, il sera comme la souche d’un arbre calciné qui finit par reverdir à nouveau, un thème que nous retrouverons lorsqu’il s’agira de lire les oracles du prophète anonyme écrivant à l’époque de Cyrus le perse et que nous retrouverons à partir d’IÉsaïe 40 …
Classez les mots qui vous semblent les plus significatifs selon qu’ils évoquent une connotation religieuse ou une connotation séculière et politique. Que tirez-vous de cette lecture ?Ne pourrait-on dire que le récit semble se dérouler à mi-chemin entre les univers de la religion et du pouvoir ?
connotations religieuses : seraphim, saint, impur, autel, péché, le SEIGNEUR
connotation politiques : trône, palais, terre, gloire, Roi, peuple,
l’histoire se déroule l’année de la mort du roi Ozias dont on nous dit (2 Chroniques 26) qu’il a voulu offrir de l’encens dans le temple, ce qui est le rôle d’un prêtre et non celui d’un roi. À la suite de cette tentative, on nous rapporte aussi que le roi fut frappé par la lèpre et que, devenu impur, il a dû se retirer, laissant la place à son fils qui lui succéda. C’est donc déjà dans l’histoire de ce roi que s’enracine la confusion entre le sacré et le profane.
Un même terme est traduit tantôt par « temple » tantôt par « palais » dans le texte biblique. Il est construit à partir d’un terme en lien avec le pouvoir, la capacité. Pour éviter de se tromper, nous pourrions traduire ce mot par « le lieu du pouvoir ». En France, aujourd’hui, nous avons le privilège de pouvoir dissocier le lieu de pouvoir religieux (le temple) et le lieu de pouvoir séculier (le palais). Et dans notre texte qu’en est-il ?
Selon vous, avons-nous à faire à uniquement du religieux, uniquement du séculier ou un mélange des deux ?
Ainsi le Seigneur présenté dans ce texte exerce t-il son pouvoir uniquement sur le religieux, le politique ou sur les deux ?
Un des apports du prophétisme consiste justement à amorcer un découplage entre le religieux et le politique. Le prophète porte une parole de critique du pouvoir politique au nom de l’exigence éthique et religieuse exprimée dans la Thora. Le prophète n’a pas vocation à assumer le pouvoir politique ou religieux mais sa vocation religieuse lui permet un regard critique et une liberté à laquelle ne sauraient prétendre les simples sujets du roi.
Dans le même temps, il amène une espérance qui va au delà de e qu’entrevoient militaires et politiques. Le texte par de l’idée de la sainteté de Dieu (saint, saint , saint est le Seigneur) pour déboucher sur la sainteté de la souche qui a traversé l’incendie et reprend vie au delà de l’exil annoncé.
****
Détail d’une fresque décorant le linteau au dessus du passage menant à la chambre funéraire la tombe du prince royal Amonherkhepeshef, fils aîné du pharaon égyptien Ramses III (vers 1150 avant notre ère) . On l’interprète comme la représentation d’une déesse (Ouadjet ou Nekhbet) sous l’apparence d’un cobra ailé assurant la protection des noms royaux inscrits tout à côté (cartouche).
En hébreu le cobra se dit Saraf (pluriel sarafîm d’où le nom “ séraphim”. Ce nom désigne aussi bien les serpents dont sont victimes les hébreux dans le désert selon Nombres 21,6-9 que les créatures aperçues par IÉsaïe dans le temple de Jérusalem. Ce type d’image d’origine égyptienne est souvent reproduite sur des sceaux trouvés dans le royaume de Juda à l’époque du prophète IÉsaïe et dont certains sont reproduits ci-dessous.