Entre VIIIème et VIème siècle

avant notre ère

IÉsaïe

le(s) prophète(s) 

 

 

Il y a quelques années à Jérusalem, un archéologue trouvait un tout petit morceau rond d’argile mesurant seulement 1 cm…

 


Vieux de 2700 ans, trouvé en 2009 parmi plus d’une trentaine d’autres empreintes de sceaux lors de fouilles à l’Ophel, au sud du Mont du Temple (Esplanade des mosquées) à Jérusalem-Est, à trois mètres d’un autre sceau reconnu comme ayant appartenu au roi Ezéchias, roi de Juda vers la fin du VIIIème siècle av. J.-C.. Ce roi fut le contemporain des prophètes Michée et IÉsaïe.

Le sceau laisse clairement apparaître dans une ancienne écriture hébraïque le nom “Yesha’yah” (le nom hébreu d’IÉsaïe), suivi des lettres hébreues “ n v y ” ou “ n b y ”. Ces dernières pourraient correspondre soit à un nom de famille, soit au début du mot “ n b y ’ ” qui signifie “prophète”. Malheureusement, l’empreinte du sceau est brisée… Était-ce là la signature du prophète ?1

(d‘après le site internet www.Terresainte.net)


En hébreu, le prophète s’appelle Yesha’yah. Dans la traduction grecque des Septante ce nom a été transcrit Esaias, puis Isaia dans la traduction en latin de la Vulgate. De là vient le nom d’Isaïe retenue dans la tradition catholique francophone quand les protestants ont préféré transcrire Ésaïe. Dans ce dossier, nous proposons de le nommer IÉsaïe, à la fois plus proche de l’original hébreu et à mi-chemin des deux traditions de lecture…


Ce dossier a été préparé par l’équipe biblique de l’Église Protestante Unie de France en région Centre-Alpes-Rhône. Elle est composée de Anne-Noëlle Clément, Jean-Claude Chambas, Emmanuel Corréia, Françoise Mesi, et Jean-Pierre Sternberger. Vous trouverez dans ces pages des documents vous permettant d’aborder en groupe dix textes tirés de livre d’IÉsaïe : les textes proposés bien sur puis un aperçu de documents archéologiques contemporains de la date supposée du texte, un texte théologique, un texte de prière ou un poème et un dessin. Tous ces éléments sont à appréhender comme autant de regards différents ou de lectures avec lesquelles on peut entrer en dialogue après avoir lu et interrogé le texte biblique. Ce dossier sera progressivement actualisé et disponible sur le site bible-en-car.fr . 

 

les étapes 1 à 9 de ce dossier se trouvent dans  le chapitre suivant de ce blog mis à jour en mai 2023

Bonne lecture à toutes et tous !


1- on trouvera une discussion plus approfondie concernant cette découverte à l’adresse https://www.archeobiblion.fr/un-sceau-du-prophete-isaie/


10ème étape  : IEsaïe 55



La deuxième partie – écrite à l’époque perse à partir de la situation de l’exil à Babylone – du livre d’Isaïe qui s’était ouverte sur la chapitre 40 (cf 7ème étape) se clôt sur le chapitre 55 de cette 10ème étape. Seize chapitres où domine le thème de la Parole de Dieu.


1 Eh ! vous tous qui avez soif ! Venez vers l'eau, même celui qui n'a pas d'argent !

Venez, achetez et mangez, venez, achetez du vin et du lait, sans argent, sans rien payer !

2 Pourquoi pesez-vous de l'argent pour ce qui n'est pas du pain ? Pourquoi vous fatiguez-vous pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi donc et mangez ce qui est bon, et vous vous délecterez de mets succulents.

3 Tendez l'oreille et venez à moi; écoutez, et vous vivrez; je conclurai pour vous une alliance perpétuelle, celle de la fidélité envers David, qui est sûre. 4 J'ai fait de lui un témoin pour les peuples, un chef qui commande aux peuples.

5 Tu appelleras une nation que tu ne connais pas, et une nation qui ne te connaît pas accourra vers toi, à cause du SEIGNEUR, ton Dieu, du Saint d'Israël qui te donne de la splendeur.

6 Cherchez le SEIGNEUR pendant qu'il se laisse trouver.

Appelez-le pendant qu'il est proche.


7 Que le méchant abandonne sa voie, et l'homme malfaisant ses pensées; qu'il revienne vers le SEIGNEUR, qui aura compassion de lui, – à notre Dieu, qui pardonne abondamment 8 car mes pensées ne sont pas vos pensées, vos manières d’agir ne sont pas mes manières d’agir déclaration du SEIGNEUR.


9 Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes manières d’agir sont élevées au-dessus de vos manières d’agir et mes pensées au-dessus de vos pensées. 10 Comme la pluie et la neige descendent du ciel et n'y reviennent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l'avoir fécondée et fait germer, sans avoir donné de la semence au semeur et du pain à celui qui a faim, 11 ainsi en est-il de ma parole qui sort de ma bouche : elle ne revient pas à moi sans effet, sans avoir fait ce que je désire, sans avoir réalisé ce pour quoi je l'ai envoyée. 


12 Oui, vous sortirez avec joie et vous serez conduits en paix. Les montagnes et les collines éclateront en cris de joie devant vous, et tous les arbres des champs battront des mains. 13 Au lieu des buissons poussera le cyprès, au lieu de l'ortie poussera le myrte; ce sera pour le SEIGNEUR, un nom, un signe perpétuel, qui ne sera pas remis détruit.



- pour vous de quelle soif est-il question ici ?

Les premiers versets ressemblent à une annonce très matérielle de la part d’un généreux donateur qui offre de quoi boire et manger gratuitement. C’est à partir du v. 3 que le lecteur commence à comprendre qu’il y a là une allusion à autre chose que de la nourriture et de la boisson. D’une certaine manière nous retrouvons ici la phrase de Deutéronome 8,3 sur les nourritures spirituelles.


- quels autres textes bibliques ce texte évoque-t-il pour vous ? Quels personnages ?

On peut penser à l’épisode de Moïse frappant le rocher et en faisant jaillir une source en plein désert (Exode 17,5-6). Plusieurs personnages de la Bible aussi peuvent venir à l’esprit dont notamment la samaritaine à qui Jésus demande à boire et Jésus lui-même se présente comme celui qui donne à boire une eau qui jaillit jusque dans la vie éternelle (Jn 4,13-14).


- comment vous-même parvenez-vous à étanchez votre soif d’une autre vie ?

- quel est pour vous personnellement le verset biblique qui vous vient immédiatement à l’esprit pour vous avoir parlé un jour ?


À l’époque où l’auteur d’IÉsaïe rédige son poème, se construit dans la cité que les Grecs nommeront Persépolis (“la ville des Perses”) le palais extraordinaire des souverains achéménides. Parmi les chefs d’Œuvres ornant ces palais, se trouve une longue frise formée de bas reliefs appelée “procession des tributaires” : disposés sur trois niveaux l’impressionnante succession de dignitaires venus de tous les royaumes soumis et apporte au Grand Roi les meilleurs produits de leurs terroirs. Mis bout à bout l’ensemble mesurerait 145 m. de long sur 90 cm de haut. Parmi les personnages représentés on note des porteurs de coupes venus offrir de l’eau (?) ou d’autres breuvages plus précieux, lait, hydromel ou vin…

 


 

 

 

 
 

  Un siècle plus tard, Athènes victorieuse des guerres médiques qui ont vu les cités grecques s’affranchir du joug perse se lance elle aussi dans un grand projet architectural. Autour du Parthénon, une grande frise répondra désormais aux monuments perses et à l’idéologie qu’ils desservent. Longue de 160 m sur 106 cm, la procession des Panathénée met en scène les habitants de la ville parmi lesquels de jeunes métèques, viennent aussi apporter de grandes cruches pleines de nectar en cadeau à la déesse de la ville.


Par delà les dimensions des deux productions monumentales, que pensez-vous des styles de ces représentations ? Que disent-ils des régimes politiques qui les ont produits et des univers culturels et religieux sous-jacent. Comment lisez-vous le texte d’IÉsaïe dans ce contexte ?

Ces frises mettent en valeur l’image que le pouvoir perse ou athénien veut mettre en avant. Dans le cas de Persépolis, c’est le défilé des délégations venues de tout l’empire qui, dans une attitude tout empreinte de respect mais aussi d’une certaine rigidité imposée par le protocole de la cour. À Athènes, on veut souligner la liberté des jeunes gens qui apportent volontairement leur présent. Les attitudes des corps, le déploiement des drapés suggèrent l’aspect volontaire de la démarche des porteurs de lourdes cruches en offrande non à un roi mais à la déesse de la ville, symbole de la ville dirigée par le conseil choisi par les citoyens mus par un idéal de démocratie. Les grecs qui ont chassé les Perses de leurs territoires et qui, bientôt, vont, conduits par Alexandre s’emparer de l’immense territoire de l’empire perse semblent vouloir faire passer le message de la plus grande efficacité de l’union des citoyens volontairement réunis sur celle des peuples asservis : aux modestes cruches des offrandes figurées par le bas relief de Persépolis, s’oppose les opulentes jarres portées par les jeunes gens à la déesse d’Athènes.

Dans le même temps, le texte du Deutéro-IÉsaïe transmet le message d’un dieu qui vient lui-même offrir à qui a soif une eau gratuite. Le texte pourrait ainsi renvoyer dos à dos les adversaires perses et grecs et suggérer l’idée que ce n’est les hommes qui viennent abreuver d’eau leurs divinités mais le Dieu créateur qui offre l’eau de le vie à tous les vivants.

une réflexion théologique

Jésus aime l'eau. Il se fait baptiser par Jean-Baptiste, dans le Jourdain, il fait son premier miracle à Cana, selon Jean, en obtenant du vin à partir de l'eau. Il choisit ses apôtres parmi les pêcheurs, alors que jusque-là le métier sacré était symbolisé par le berger. Il accomplit le miracle de marcher sur l'eau. Il annonce à la Samaritaine, rencontrée près du puits, que celui qui boit l'eau qu'il fournit n'aura plus soif. Jésus aime l'eau et naturellement il aime le verset d'Isaïe et son invitation : “ Oh vous, tous ceux qui ont soif, venez à l'eau et ceux qui manquent d'argent : venez, buvez et mangez sans argent ” (ls 55, l).

C'est l'eau de son annonce, de l'eau pour tous, bénie depuis toujours en terre de sécheresse. Jésus aime les versets d'Isaïe, au même chapitre 55, quand Dieu affirme que ses paroles sont comme pluie et neige, qui descendent et ne reviennent pas en arrière. “Ainsi sera ma parole qui est sortie de ma bouche, elle ne reviendra pas à moi vide ” (Is 55, 11).

Les eaux ont un sens comme les mots, elles descendent et se perdent en grande partie dans la mer et sur la terre. Jésus veut que ses paroles, dites et pensées pour qu'elles se répandent, soient comme des eaux courantes. Il a voulu ne rien écrire, il n'a pas voulu de secrétaires pour prendre des notes. Ceux qui le pouvaient retenaient par cœur. Il ne voulait pas enfermer l'eau dans une cage. Jésus savait que les mots dans la bouche ont plus de valeur que ceux qui sont écrits, comme la musique exécutée vaut plus que la partition qui la fixe.

Il se servait de sa voix avec impétuosité, comme des ruisseaux inattendus dans le désert de Néghev, selon une des images frappantes d'Isaïe, le plus grand poète de Dieu.

Tout au long des Évangiles, nous lisons les jets d'un discours qui fut torrentiel. Une providence fait ressembler ces écrits à des citernes d'eau de pluie, qui retiennent du moins quelque chose selon leur capacité. Nous ignorons le timbre de sa voix et l'hébreu et l'araméen, ses langues, n'existent même plus. Et pourtant, les Évangiles ont suffi à ne pas faire oublier les paroles de celui qui ne voulut pas écrire ni laisser écrit. Celui qui n'a pas la foi ne se désaltère pas. Mais celui qui a la grâce de l'avoir est lié par un devoir énorme : donner de cette eau bue un témoignage tout au long de sa vie. Ce faisant, il remplit les pages que les Évangiles ont dû laisser vides. Ce faisant, il rapporte à la surface l'eau qui s'est perdue hors des citernes.


Erri De Luca, Le Noyau d’olive. traduit de l’italien par Danièle Valin.

Gallimard, Paris, 2004, p.75

 

un poème

Je sais bien la source qui coule et fuit,
Malgré la nuit.

Cette source éternelle est hors de vue,
Moi je sais bien là où est sa venue,
Malgré la nuit.

L’origine n’en sais, car n’en a point,
Mais je sais que toute origine en vient,
Malgré la nuit.

Je sais qu’il n’est nulle chose si belle
Et que cieux et terre boivent en elle,
Malgré la nuit.

De fond je sais qu’on n’en peut découvrir
Et que nul à gué ne peut la franchir,
Malgré la nuit.

Sa lumière jamais n’est obscurcie
Et je sais que tout éclat en surgit,
Malgré la nuit.

Je sais qu’ils sont si puissants ses courants,
Qu’ils baignent tout, l’enfer, les cieux, les gens,
Malgré la nuit.

Jean de la Croix, écrit dans la prison de Tolède en 1578

 

 

 

 


 






 

9ème étape : IÉsaïe 53,1-12


Dans cette deuxième partie du livre d’IÉsaïe, quatre poèmes appelés les Chants du Serviteur mentionnent un personnage que le SEIGNEUR nomme « mon serviteur ». On ne sait pas de qui il s’agit, les Chrétiens y ont vu une annonce du Christ quand les Juifs ont souvent pensé qu’il s’agissait d’une figure symbolisant le peuple d’Israël.


1 Qui a cru ce qui nous était annoncé ?

L’action du SEIGNEUR, pour qui s'est-elle dévoilée ?

2 Il s'est élevé devant lui comme un rejeton comme une racine qui sort d'une terre assoiffée; il n'avait ni apparence, ni éclat pour que nous le regardions, et son aspect n'avait rien pour nous attirer. 3 Méprisé et abandonné des hommes, homme de douleur et habitué à la souffrance, semblable à celui de qui on se détourne, il était méprisé, nous ne l'avons pas estimé.

4 En fait, ce sont nos souffrances qu'il a portées, c'est de nos douleurs qu'il s'était chargé; et nous, nous avons pensé qu’il était atteint atteint par un un fléau, frappé par Dieu et affligé.

5 Or il était transpercé à cause de nos transgressions, écrasé à cause de nos fautes; la correction qui nous vaut la paix est tombée sur lui, et c'est par ses meurtrissures que nous avons été guéris. 6 Nous étions tous errants comme du petit bétail, chacun suivait sa propre voie; et le SEIGNEUR a fait venir sur lui notre faute à tous.

7 Maltraité, affligé, il n'a pas ouvert la bouche; semblable au mouton qu'on mène à l'abattoir, à une brebis muette devant ceux qui la tondent, il n'a pas ouvert la bouche. 8 Il a été pris par la violence et le jugement; dans sa génération, qui s'est soucié de ce qu'il était exclu de la terre des vivants, à cause des transgressions de mon peuple, du fléau qui l'avait atteint ?

9 On a mis sa tombe parmi celles des méchants, son sépulcre avec celui du riche, bien qu'il n'ait pas commis de violence et qu'il n'y ait pas eu de tromperie dans sa bouche.

10 Le SEIGNEUR a regardé favorablement celui qui avait été broyé et mis à mal; puisqu’il dépose sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, prolongera ainsi ses jours, et la volonté du SEIGNEUR se réalisera par lui.

11 A cause de ses tourments, il verra, il sera rassasié par sa connaissance; mon serviteur, le juste, apportera la justice à la multitude et il se chargera de leurs fautes.

12 C'est pourquoi je lui donnerai une part avec la multitude; il partagera le butin avec les puissants, parce qu'il s'est livré lui-même à la mort et qu'il a été compté parmi les transgresseurs alors qu'il a porté le péché d'une multitude et qu'il est intervenu pour les transgresseurs.


(d’après la Nouvelle Bible Segond)


Ce texte est à la fois important et compliqué. Sans doute nous manque-t-il des éléments venant du contexte historique dans lequel il est né et qui le rendaient accessible pour ses premiers lecteurs. C’est aussi certainement un des textes de la Bible hébraïque les plus sollicités dans le sens d’une annonce de mort et de la résurrection du Christ. Mais nous pouvons aussi essayer de le lire tel qu’il est et tenter de percevoir son message.

- de quoi le serviteur souffre-t-il ?

Il subit mépris, abandon, douleur et fréquente souffrance (v. 3); il est transpercé, écrasé (v. 5), il meurt (v. 9 et 12), le tout dans une grande solitude, sans aucun support. Il est qualifié d’ “homme de douleur”


  • qui est responsable de ces souffrances ? pourquoi ?

Dès le début du texte (v.1) apparaît un “nous” qui a suscité bien des questions. Les personnes ainsi désignées sont partiellement responsables de ce que le serviteur soit méprisé (v. 3). Ceux sont elles qui ont cru que Dieu lui-même frappait la serviteur (v. 4). Elles reconnaissent par la suite que leurs fautes sont à l’origine de la souffrance infligées au serviteur au point que, par lui, est obtenue la guérison des blessures des personnes au nom des quelles le prophète prend la parole (v. 5). Au v. 6, nouvelle étape, c’est le SEIGNEUR (YHWH) qui fait advenir sur le serviteur le châtiment et la correction méritée par le peuple.

La théologienne Lytta Basset propose la lecteur suivante de ce texte :

Pour être libéré du mal et montrer un pouvoir ouvert à tous, le serviteur souffrant d’Esaie présente un certain nombre de caractéristiques. Il est « anonyme », pour que chacun puisse s’identifier à lui. Il est porteur d’une promesse de sens (« il sera comblé »). Il assume le mal sans le fuir (le « lève », le redresse devant Dieu), refuse de l’expliquer, renonce à accuser autrui, accepte d’aller au bout de l’impuissance, croit que cette attitude est le passage obligé pour accéder à la vérité, à la guérison, au salut (ie être « dans la paix »). Son témoignage fait prendre conscience à la fois du mal subi, du moi-souffrant existant en chaque être humain, et des différentes impasses dans lesquelles l’humain s’est fourvoyé. Il montre une guérison qui ne peut se faire qu’avec les autres, dans un « vis-à-vis » retrouvé, mais pas à la place des autres (il ne guérit pas les autres par substitution, mais seulement en ouvrant la voie pour que chacun réponde à cette même vocation de serviteur). Enfin, son pouvoir de décider cette libre acceptation d’un mal subi non reproduit, en vue d’une libération, est offert à tous.

(résumé par Hélène Barbarin d’une analyse proposée

par Lytta Basset, La pardon originel, Genève, 2014)


  • Que lui arrive-t-il finalement ? Comment lisez-vous le v. 10 difficile à traduire (voir différentes traductions) ?

On peut comprendre la première proposition de ce verset dans le sens d’un agrément par le SEIGNEUR de la personne du serviteur maltraité même si ce dernier est appelé `“son maltraité”, voire “celui qu’il a maltraité”. Mais on peut peut-être aussi comprendre: “celui qui, ayant été maltraité, lui appartenait”. La suite peut être lue comme une suite de l’image du mouton entrainé vers l’autel. Je propose donc de lire ce verset ainsi : “Le SEIGNEUR a agréé celui qui lui appartenait mais fut broyé et mis à mal. Alors que sa vie fut déposée [sur l’autel] comme un sacrifice de réparation , il verra une descendance. La volonté du SEIGNEUR se réalisera par lui.”


  • Ce texte est écrit à un moment où on commence juste à reconstruire le temple de Jérusalem. Peut-être n’est-il toujours pas possible aux Juifs d’offrir des sacrifices à leur dieu. Ce fait peut-il, selon vous, jouer un rôle dans l’écriture du poème ?


Ce texte d’IÉsaïe a sans doute joué un rôle important dans l’interprétation de la mort de Jésus comme un sacrifice. Or aussi bien l’époque durant laquelle fut écrit cet oracle à l’époque perse que celle qui vit naître les évangiles sont celles où, faute de temple, il n’est plus possible aux juifs d’offrir des sacrifices. Du point de vue chrétien, cette impossibilité a été interprétée comme le signe que la mort du Christ accomplit tous les sacrifices et les rend désormais soit inutiles soit résumés dans l’unique sacrifice commémoré ou réactualisé au cours de l’eucharistie ou la cène.

 

 

 

 


 

procession en vue d'un sacrifice d'un agneau offert aux charités ( = des divinités qui correspondent à ce que sont les Grâces dans le monde latin)

peinture sur bois Corinthe vers 540-530 Musée National d'Athènes .


En Grèce, l’animal sacrifié doit être domestique (bœuf, chèvre, bélier, porc) et sans défauts ; l'officiant, qui n'agit pas seul mais accompagné d'acolytes, revêt la plupart du temps des vêtements blancs et porte une couronne ; les objets servant au sacrifice, comme le couteau pour égorger la victime, doivent être propre au culte. Le sacrifice est toujours public : c'est, d'une certaine manière, une forme de communion entre les dieux et les mortels et entre les hommes eux-mêmes au sein d'une communauté plus ou moins importante.


Le culte sacrificiel occupe une place centrale dans l’ancien Israël […] Car il constitue le centre de gravité de toute son existence, d’où part et autour duquel se concentre toute la vie d’Israël. Il est le lieu dans lequel s’enracine toute la vie de la société. Il est aussi un pôle de stabilité et de continuité à travers les fluctuations de l’existence et de l’histoire. Il est le lieu où Israël puise la tranquille assurance qui lui permet de faire face à toutes les situations.

Le sacrifice n’est donc pas une simple alternative à la prière, une forme de piété simplement plus primitive, plus vulgaire, plus naïve. Plus primitive ? Comme si la parole était supérieure au geste, comme si parler avec Dieu était moins irrationnel que lui offrir un repas ! Sacrifice et prière ne s’opposent pas, mais sont parfaitement complémentaires. Le sacrifice débouche naturellement sur la prière : c’est lorsque Dieu est présent que le fidèle lui parle, selon le cas pour le louer, pour l’adorer, pour lui rendre grâce ou pour lui exposer sa demande. Dans l’étiquette proche-orientale, le geste précède toujours la parole. La prière, de même, présuppose le sacrifice. Elle ne fait qu’expliciter la raison pour laquelle le fidèle a souhaité rencontrer son Dieu.


Alfred Marx

dans le livre de Christian Grappe et Alfred Marx, Le sacrifice, vocation et subversion du sacrifice dans les deux Testament, Labor et Fides, Genève, 1998


une réflexion théologique :


Au reste, impressionnante est la similitude — faut-il dire l’identité ? — entre la destinée historique d’Israël et celle du Christ. Il est inutile, après Auschwitz, d’expliquer longuement pourquoi le rapprochement s’impose à l’esprit entre le peuple juif et celui qui a été « retranché de la terre des vivants » (Is 53,8) . Dans la Schoah ont été portés à leur point extrême et en quelque sorte mis à nu les mécanismes, le sens et le non-sens d’un anti-judaïsme qui était à l’œuvre depuis des siècles, et dans lequel le peuple juif pour sa part n’a jamais cessé de vivre la condition du juste persécuté. Jésus et Israël ont vécu jusqu’à l’extrême la destinée du juste souffrant, reconnu seulement de son Dieu, et portant le poids du péché du monde.


Michel Remaud, Israël serviteur de Dieu, les éditions CCEJ, Ratisbonne 19


deux extraits de poème


Le christ s’est mis en marche et maintenant, qui sera puissant à l’arrêter ?

Comme on adapte un moulin ou une dynamo à un torrent, ce Christ énorme qui s’ébranle au travers du monde et de l’Humanité, on l’a attelé à une croix. C’est ce poids sur son dos à la fois qui l’entraine et qui retarde son mouvement, jusqu’à ce que sa carrière soit parcouru.

Paul Claudel, l’épée et le miroir, NRF, Paris1939


Ce n’est pas assez pour Lui de cette terre qu’il a brossée autour de nous à grands coups de pinceau, ni de programme étincelant qu’il a affiché à la porte de son firmament. Tous cela qu’il nous donne, il ne veut rien en garder pour Lui, il est nu sur la Croix, il n’a pas même gardé une loque autour de ses reins et, environné des ces mondes sans nombre qu’il a créés et reçoivent de son propre cœur battement et vie, il élève vers nous une paupière sacrifiée et murmure : sitio, j’ai soif.

Il ne veut rien apprendre de nous que de notre ignorance.


Paul Claudel, les aventures de Sophie, NRF, Paris 1937

8ème étape : IÉsaïe 45,1-8


1 Voici ce que dit le SEIGNEUR

à celui qui a reçu son onction, à Cyrus, que j'ai saisi par la [main] droite,

pour terrasser devant lui des nations, pour détacher la ceinture des rois,

pour ouvrir devant lui les deux battants, et que les portes des villes ne soient plus fermées :


2 Je marcherai moi-même devant toi, je raserai les fortifications,

je briserai les battants de bronze et je casserai les barres de fer.

3 Je te donnerai des trésors enfouis, des richesses cachées,

afin que tu saches que c'est moi, le SEIGNEUR, le Dieu d'Israël qui t'appelle par ton nom.


4 À cause de mon serviteur Jacob, d'Israël que j'ai choisi,

je t'ai appelé par ton nom; je t'ai paré d'un titre, sans que tu me connaisses.

5 Je suis le SEIGNEUR, et il n'y en a pas d'autre,

à part moi il n'y a pas de Dieu;

je t'ai préparé au combat, sans que tu me connaisses,

6 afin que l'on sache, du soleil levant au couchant,

qu'en dehors de moi il n'y a que néant :


je suis le SEIGNEUR, et il n'y en a pas d'autre.

7 Je façonne la lumière et je crée la ténèbre,

je fais la paix et je crée le mal;

c'est moi, le SEIGNEUR, qui fais tout cela.


8 Que les cieux distillent d'en haut, que les nuées laissent couler la justice !

Que la terre s'ouvre, que salut et justice y soient féconds,

elles [les] fera lever ensemble.

C'est moi, le SEIGNEUR, qui l'ai créée."


(d’après la Nouvelle version Segond)



Roi des Perses, Cyrus ne connaissait certainement pas et n’a sans doute jamais prié le dieu d’Israël. Pourtant dans ce texte, c’est le SEIGNEUR qui s’adresse au maître de l’empire et semble le soutenir . Cette proclamation semble faire écho à la propagande perse qui, à Babylone, fait de Cyrus un serviteur de Marduk et un partisan de la pluralité religieuse de son empire, préconisant le retour dans leurs temples respectifs des statues pillées par les souverains babyloniens (voir le document ci-dessous, cylindre de Cyrus)

Mais, à votre avis, à qui s’adresse ce texte d’IÉsaïe ?

S’il s’adresse en apparence à Cyrus, le texte vise plus certainement les juifs exilés à Babylone ou même dans d’autres pays comme l’Égypte et susceptibles de revenir à Jérusalem pour la reconstruire avec son temple. Il proclame que le SEIGNEUR (YHWH) a choisi le roi perse pour en faire son messie, le chef qui va permettre à Israël d’exister de nouveau même s’il s’agit d’une entité vassale dont on ne saurait dire qu’elle constitue un état.


N’y-a-t-il là qu’une écho de la propagande royale ?

Il serait sans doute trop réducteur de ne lire dans ce texte d’IÉsaïe qu’un écrit relevant de la propagande perse. Car il s’inscrit aussi dans la tradition prophétique d’Israël qui n’hésite pas à faire des rois étrangers les serviteurs de son Dieu. S’il n’y a qu’un seul Dieu en effet rien n’échappe à sa décision surtout quand cela concerne son peuple Israël. Car l’autre versant de ce texte réside dans la proclamation de ce que le dieu d’Israël est aussi le créateur du monde et qu’il n’y en a pas d’autre. Or cette proposition peut amener deux modification dans le compréhension par les juifs de leur divinité voire de leur histoire : soit, considérant que leur dieu est le seul dieu, ils envisagent la possibilité que tous les peuples adhèrent à leur conception du divin, soit ils sont amenés à comprendre eux aussi autrement leurs conceptions théologiques dans le sens d’une fraternité des humains tus créés par le même Seigneur.


Que découvrent à la suite de leur exil à Babylone les Judéens (personnes originaires de la Judée) qu’on va bientôt pouvoir appeler les Juifs (adeptes de la religion juive) ?

Le tournant lié à l’expérience de l’exil et du retour à Jérusalem va petit à petit amener les juifs à passer d’une religion patriarcale (la religion de leurs pères à commencer par Abraham) puis nationale (celle des peuples des Royaumes d’Israël et de Juda) à une religion potentiellement universelle, celle du Dieu créateur de tous les humains appelés à entrer en alliance avec le Créateur.

Que pensez-vous des affirmations du v. 7 concernant le mal . Comment le contexte éclaire-t-il cette affirmation ?

Cette affirmation nous conduit à envisager un débat qui continue à diviser les croyants. Face au problème de l’existence d’un mal qu’on ne saurait nier, se profilent deux solution : soit, un peu comme dans la religion perse (manichéisme) on envisage l’existence d’un dieu du mal qui s’oppose au dieu du bien créateur. Ce dieu du mal sera souvent au cours des siècles identifié au diable ou au Satan. Soit, et c’est l’affirmation de notre texte d’IÉsaïe, rien — pas même le mal – n’existe en dehors du seule Dieu, le SEIGNEUR. D’autre part, si on refuse l’idée que l’être humain n’est pas responsable du mal dont il est l’auteur, s’il est laissé libre de choisir le bien ou le mal, alors il faut que Dieu ait créé non pas le mal mais la possibilité du mal.



Ce document en argile cuite appelé “ cylindre de Cyrus ” a été découvert en 1879 par l'archéologue assyro-britannique Hormuzd Rassam dans les fondations du temple principal de Babylone dédié au principal dieu de la ville : Mardouk. Il est exposé au British Museum de Londres. En voici une partie du contenu :

« Je suis Cyrus, roi du monde, grand roi, puissant roi, roi de Babylone, roi de Sumer et d'Akkad, roi des quatre quarts, le fils de Cambyse, grand roi, roi d'Anšan, petit-fils de Cyrus, grand roi, roi d'Anšan, descendant de Teispès, grand roi, roi d'Anšan, d'une lignée royale éternelle, dont Bēl et Nabû1 aiment la royauté, dont ils désirent le gouvernement pour le plaisir de leur cœur.

Quand je suis entré à Babylone d'une manière pacifique, j'établis ma demeure seigneuriale dans le palais royal au sein des réjouissances et du bonheur. Mardouk, le grand seigneur, fixa comme son destin pour moi un cœur magnanime d'un être aimant Babylone, et je m'emploie à sa dévotion au quotidien. Ma vaste armée marcha sur Babylone en paix ; je ne permis à personne d'effrayer les peuples de Sumer et d'Akkad. J'ai recherché le bien-être de la ville de Babylone et de tous ses centres sacrés. […]

Mardouk, le grand seigneur, se réjouit de mes bonnes actions. Il me donna sa gracieuse bénédiction à moi, Cyrus, le roi qui le vénère, à Cambyse, le fils qui est ma progéniture, et à toute mon armée, et en paix, devant lui, nous nous avons marché comme des amis. Par sa parole exaltée, tous les rois qui siègent sur des trônes à travers le monde, de la mer Supérieure à la mer Inférieure, qui vivent en des districts fort éloignés, les rois de l'Ouest, qui résident dans des tentes, tous, apportèrent leur lourd tribut devant moi et à Babylone et m’embrassèrent les pieds.

De Babylone à Assur et de Suse, Akkad, Eshnunna, Zamban, Me-Turnu, Der, d'aussi loin que la région de Gutium, les centres sacrés de l'autre côté du Tigre, dont les sanctuaires avaient été abandonnés pendant longtemps, je fis revenir chez elles les statues des dieux, qui se trouvaient [à Babylone], et je leur permis de demeurer dans leurs demeures éternelles. Je rassemblai tous leurs habitants et leur rendis leurs territoires. En plus, selon les ordres de Mardouk, le grand seigneur, j'installai chez elles, dans de belles demeures, les dieux de Sumer et d’Akkad, que Nabonide2, provoquant la colère du seigneur des dieux, avait apportés à Babylone. Que tous les dieux que j'installai dans leurs centres sacrés demandent quotidiennement à Bel et Nabû que mes jours soient longs, et intercèdent pour mon bien-être. [...] Le peuple de Babylone bénit mon règne, et j'établis dans tous les pays de pacifiques demeures. »


- notez les similitudes et les différences entre le discours de Cyrus et celui du prophète qui s’exprime en IEsaïe 45 .



une réflexion théologique :


Outre l’écho qu’on peut y lire au texte de l’édit du roi Cyrus qui ne concerne toutefois que des populations mésopotamiennes et leurs dieux, Le texte d’IÉsaïe 45 affirme haut et fort que Dieu a tout créé y compris le mal. Le professeur Daniel Lys commente cette affirmation :



Il faut en prendre son parti : s’il existe du mal moral ou physique, individuel ou collectif, historique ou géographique. Il relève du pouvoir du Dieu d’Israël. En un sens, c’est réconfortant pour plusieurs raisons. D’abord parce que cela exclut tout dualisme où nous serions comme une simple balle que deux dieux contradictoires se disputeraient avec leurs raquettes. Mieux vaut que le mal vienne de Dieu que du Diable car alors, on a encore une chance même si on ne comprend pas, au risque de la foi qui se fie à l’amour de Dieu. Ensuite et surtout parce qu’ainsi, on ne peut pas essayer de comprendre. Ceci n’est pas dit pour vanter la soumission ignorante, ni la foi d’autant plus grande que c’est absurde ! Mais l’homme cherche toujours à expliquer le mal, par des raisons psychologiques, pratiques, éthiques, évolutionnistes, sociales, politiques, naturelles, cosmiques, religieuses, voire fatalistes — sans se rendre compte qu’expliquer le mal, c’est finalement justifier son existence […] Tout effort pour exonérer Dieu de la présence du mal […] fait du mal une nécessité (comme les ombres dans un tableau). Alors que le mal est un scandale et doit le rester pour être le mal. Il s’agit donc moins en Es 45,7, d’ « expliquer » son existence en en rejetant la responsabilité sur Dieu, que de dire que (même si on ne le comprend pas — et qui pourrait comprendre ?) il ne lui échappe pas de sorte que, malgré le Seigneur, nous serions à la merci d’un Autre.


Daniel Lys, L’évangéliste de l’Ancien testament, Les bergers et les Mages, 1999




Êtes-vous d’accord avec Daniel Lys ? Est-ce que les idées qu’il défend nous rendent le mal plus supportable ?





Un poème


Croire en Dieu

c'est ouvrir la fenêtre au petit matin,

s'attendre au soleil qui se lèvera

et au quotidien qui s'accomplira

en toute liberté.


Croire en Dieu

c'est ouvrir ses mains sur le monde,

c'est ouvrir son cœur aux sœurs et aux frères

et croire à l'enseignement de Jésus :

l'amour triomphera de tout ce qui divise !


Croire en Dieu

c'est ouvrir les Écriture et s'ouvrir

à la communauté de foi,

au delà des divisions, des sectarismes

et des oppositions.

Et désigner ensemble là où s'insinuent déjà

les reflets du Royaume.


Croire en Dieu

c'est ouvrir la porte à laquelle frappe l'Éternel,

pour éviter que nous pourrissions enfermés en nous-mêmes,

et nous laisser entrainer par le souffle.



Benoit Ingelaere



1- Bel (=Ba’al) et Nabu sont des dieux du panthéon mésopotamien

2- Nabonide, le dernier roi de Babylone, vaincu par les troupes de Cyrus.

 

7ème étape : IÉsaïe 40,12-31 

            Alors que les événements rapportés dans la première partie du livre (chapitres 1 à 39) se déroulaient durant l’hégémonie assyrienne, la deuxième partie (chapitres 40 et suivants) date vraisemblablement du moment les Perses (avec Cyrus) prennent la place des Babyloniens, eux-même successeurs des Assyriens. Juda a été rayé de la carte. Sa capitale Jérusalem a été détruite ainsi que son temple. Les exilés judéens n’ont plus aucun sanctuaire où adorer le SEIGNEUR … Un prophète inconnu prend alors la parole : 

 

  12  Qui a mesuré dans le creux de sa main les eaux des mers ? 

Qui a évalué de ses doigts écartés le diamètre des cieux ? 

Et la poussière de la terre, qui en a estimé la masse en la tassant dans un seau ? Qui a pesé sur la balance les montagnes et les collines ? 

13 Qui a pris la mesure de l'Esprit du SEIGNEUR ? Un homme aurait-il pu le conseiller ? 

14 Avec qui s'est-il entretenu pour mieux comprendre ? 

Qui lui a enseigné comment agir, tout ce qu'il faut savoir ? Qui lui a fait connaître le moyen d'être intelligent ? 

15 Les peuples ne comptent pas plus qu'une goutte d'eau qui tombe d'un seau, un grain de sable dans le plateau d'une balance, les populations lointaines comme un peu de poussière. 

16 Tout le gibier du Liban ne suffirait pas pour lui offrir un sacrifice digne de lui, ni les arbres de ses forêts pour entretenir le feu. 17 Les peuples tous ensemble ne font pas le poids devant lui, ils comptent pour moins que rien. 18 À qui voulez-vous comparer Dieu ? 

À quelle image ressemble-t-il ? 19 Prenez une statue : un fondeur l'a moulée, un orfèvre l'a plaquée d'or et l'a ornée de chaînettes d'argent. 20 Celui qui est trop pauvre pour une telle dépense choisit un morceau de bois qui ne risque pas de pourrir. Puis il cherche un bon artisan, capable de faire une idole qui tiendra solidement. 21 Ne le savez-vous pas ? Ne l'avez-vous pas appris ? Ne vous l'a-t-on pas annoncé depuis le début ? N'avez-vous pas compris ce que sont les fondements du monde ? 22 Il a son trône au-dessus de l'horizon, si haut qu'il voit les humains de la taille des fourmis. Il a étendu les cieux comme une grande toile, et les a déployés comme une tente pour y faire sa demeure. 23 Il a réduit à rien les dirigeants du monde, à rien du tout ceux qui détiennent le pouvoir. 24 À peine sont-ils en place, à peine sont-ils installés, à peine ont-ils pris racine, que son souffle les balaie, les dessèche. Et les voilà emportés comme des brins de paille dans un tourbillon. 25 « À qui voudriez-vous donc me comparer ? demande le Dieu saint. Qui serait mon égal ? » 26 Regardez les cieux, là-haut, voyez qui a créé les étoiles, qui les fait sortir au complet comme une armée à la parade. Il les appelle toutes par leur nom. Sa force est si grande et son pouvoir est tel, qu'aucune ne manque à l'appel. 

      27 Peuple de Jacob, pourquoi dis-tu, Israël, pourquoi continues-tu à dire : « Le SEIGNEUR ne s'aperçoit pas de ce qui m'arrive. Mon bon droit échappe à mon Dieu » ? 28 Ne le sais-tu pas ? Ne l'as-tu pas entendu dire ? Le Seigneur est Dieu de siècle en siècle ; il a créé la terre d'une extrémité à l'autre. Jamais il ne faiblit, jamais il ne se lasse. Son intelligence est sans limite. 29 Il redonne des forces à celui qui faiblit, il remplit de vigueur celui qui n'en peut plus. 30 Les jeunes eux-mêmes connaissent la fatigue et la défaillance ; même les champions trébuchent parfois. 31 Mais ceux qui comptent sur le Seigneur reçoivent des forces nouvelles ; comme des aigles qui prennent leur essor, ils s'élancent, mais sans se lasser, ils avancent, mais sans faiblir. 

d’après la Nouvelle Bible en Français Courant 

 

- où l’auteur situe-t-il l’action de Dieu ? 

au v. 22 Dieu ou le dieu dont on parle depuis e v.18 est situé au dessus de l’horizon. À ses yeux les humains sont comme des insectes (soit parce qu’ils sont petits soit parce qu’ils sont loin). Cette localisation s’oppose à celle des idoles et autres statues, œuvres d’habiles artisans, que l’on va trouver dans les temples et parfois dans les maisons particulières. On n’héberge pas Dieu on un dieu chez soi, c’est lui qui nous héberge sous le ciel qu’il déploie comme on déploie une tente.

- Quels sont les lieux mentionnés dans ce texte ? 

les lieux :le cercle de la terre, le ciel, la terre dans laquelle les dirigeants n’ont même pas de racine (v. 24), v. 26 le ciel des étoiles, les extrémités de la terre, les îles (symboles des territoires lointains)

-Jusqu’où est-on amené à porter le regard ? Êtes-vous sensibles à cette compréhension de Dieu ? 

Jusqu'à la destruction de Babylone vers 485 av. J.-C, son dieu Mardouk, continue à être vénéré dans la ville désormais entre les mains des perses.

Comme tous les dieux, Mardouk vit, pense-t-on, dans son temple au centre de la cité. Il joue un rôle essentiel dans le récit liturgique du mythe fondateur de la création appelé Enûma Eliš (voir ci-dessous) récité chaque années lors de la grande fête du Nouvel An babylonien (l’Akitu). Mais si par malheur, la statue du dieu est absente de son sanctuaire, la protection qu'il offrait s’en trouve perdue et la fête ne peut être célébrée, l’absence de la statue signifiant celle du dieu lui-même.1

mythe babylonien de la création (résumé) 

Au commencement il y a le dieu mâle Apsu, un abîme d'eau douce, et la déesse Tiamat, les eaux salées de l'océan. Leur union, le mélange des eaux, engendre les autres dieux. Ces dieux se rebellent contre Apsu, qui décide de les tuer. L'un d'eux, Ea, le dieu de la sagesse, prend Apsu de court et le tue à l'aide d'un sortilège. Tiamat décide de le venger. Elle choisit le monstre Kingu pour mener l'attaque. Terrifiés, les dieux font de Mardouk leur champion. Avec les conseils du sage Ea, Mardouk sort victorieux et crée d’une part le ciel et la terre à partir du corps de Tiamat, et, d’autre part, les habitants de la terre à partir du sang de Kingu. Pour le remercier, les dieux bâtissent le complexe cultuel d'Esagila à Babylone, avec sa ziggourat (temple en forme de pyramide). Le récit se termine avec la proclamation de la royauté de Mardouk et l'énumération de ses cinquante titres. 

 

 

Représentation de la statue de Mardouk sur le sceau du roi babylonien Mardouk-zakir-shumi I (9e siècle av. JC).1 Son vêtement comme sa couronne sont constellés d’étoiles. Victorieux, il marche sur les eaux du déluge assimilées au corps de Tiamat.
Il est précédé par un dragon assis à la manière d’un sphinx, variante des Seraphîm d’origine égyptienne évoqués plus haut à propos d’IÉsaïe 6.

1https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Marduk_and_pet.jpg

 

- que pensez-vous des deux conceptions juive et babylonienne exprimées par ces documents. Quel rapport au monde laissent-ils entrevoir ? Quelle est la place de l’humain dans chaque cas de figure ?

 

une réflexion théologique :



Le peuple d’Israël a eu l’intuition d’un Dieu berger qui se soucie de ce dont chacun a besoin pour vivre. Pour la philosophe Simone Weil1, l’âme humaine éprouve quatorze besoins qu’on peut considérer comme vitaux : l'ordre et la liberté, l’obéissance et la responsabilité, l’égalité et la hiérarchie, l'honneur et le châtiment, la liberté d’opinion et la vérité, la sécurité et le risque, la propriété privée et la propriété collective. Elle dénonce les failles du monde moderne (le déracinement) et suggère les conditions d'une intégration harmonieuse de l'homme (l’enracinement).


La conscience humaine n'a jamais varié sur ce point. Il y a des milliers d'années, les Égyptiens pensaient qu'une âme ne peut pas être justifiée après la mort si elle ne peut pas dire : « Je n'ai laissé personne souffrir de la faim. » Tous les chrétiens se savent exposés à entendre un jour le Christ lui-même leur dire : « J'ai eu faim et tu ne m’as pas donné à manger. » Tout le monde se représente le progrès comme étant d'abord le passage à un état de la société humaine où les gens ne souffriront pas de la faim. Si on pose la question en termes généraux à n'importe qui, personne ne pense qu'un homme soit innocent si, ayant de la nourriture en abondance et trouvant sur le pas de sa porte quelqu'un aux trois quarts mort de faim, il passe sans rien lui donner.

[…]

Certaines collectivités, au lieu de servir de nourriture, tout au contraire mangent les âmes. Il y a en ce cas maladie sociale, et la première obligation est de tenter un traitement ; dans certaines circonstances il peut être nécessaire de s'inspirer des méthodes chirurgicales.[…] Il arrive aussi qu'une collectivité fournisse aux âmes de ceux qui en sont membres une nourriture insuffisante. En ce cas il faut l'améliorer. Enfin il y a des collectivités mortes qui, sans dévorer les âmes, ne les nourrissent pas non plus. S'il est tout à fait certain qu'elles sont bien mortes, qu'il ne s'agit pas d'une léthargie passagère, et seulement en ce cas, il faut les anéantir.

La première étude à faire est celle des besoins qui sont à la vie de l'âme ce que sont pour la vie du corps les besoins de nourriture, de sommeil et de chaleur. Il faut tenter de les énumérer et de les définir.[…] L'absence d'une telle étude force les gouvernements, quand ils ont de bonnes intentions, à s'agiter au hasard.


Simone Weil, L’enracinement,

Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain.2



  • Simone Weil semble demander à la société d’assurer le service des plus faibles que le texte d’IÉsaïe 40 met au crédit du Dieu créateur. Qu’en pensez-vous ?




Ce que tu as appelé monde il faut commencer par le créer;

ta raison, ton imagination, ta volonté,

ton amour doivent devenir ce monde,

la vie n'aura servi à rien à celui qui quitte le monde

sans avoir réalisé son propre monde.



Brihadaranyaka Upanishad, sagesse indienne




1(1909-1943), à distinguer de Simone Veil, femme politique (1927-2017).

2Le texte intégral de l’œuvre est disponible en ligne à l’adresse : http://classiques.uqac.ca/classiques/weil_simone/enracinement/enracinement.html

 

 

dessin d’Ivan Steiger



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