9 - Avec l’apôtre Paul :
le baptême abolit-il les distinctions humaines ?
26Car vous êtes tous, par la foi, fils de Dieu en Jésus-Christ.
27 En effet, vous tous qui avez reçu le baptême du Christ, vous avez revêtu le Christ.
28 Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni mâle et femelle, car vous tous, vous êtes un en Jésus-Christ.
29 Et si vous appartenez au Christ, alors vous êtes la descendance d'Abraham, héritiers selon la promesse.
Galates 3,26-29 (traduction d’après la Nouvelle Bible Segond)
Questions
Ce passage, en particulier le verset 28, constitue une référence obligée pour les personnes qui s’intéressent aux relations entre femmes et hommes dans les premiers écrits chrétiens.
Comparez la traduction qui vous est proposée ci-dessus avec celles de vos Bibles. Quelles différences observez-vous ? Quelle(s) traduction(s) préférez-vous, qu’il s’agisse du « style » ou de leurs implications ?
Dans la traduction proposée ci-dessus, très proche du grec, la paire « mâle et femelle » fait écho à un texte du Premier Testament, fondateur et très connu. Lequel ?
En quoi le baptême renouvelle-t-il ce qui avait été institué dans le texte du Premier Testament auquel il fait référence ?
Pensez-vous que Paul, en employant cette expression, ait suggéré une égalité entre femmes et hommes parmi les baptisé-e-s devant Dieu ? Dans les assemblées de croyant-e-s ? Dans les relations sociales au sens large ?
texte théologique
« L’abolition des distinctions suggérée par une compréhension particulière de Galates 3,26-29 va donc, pour certain-e-s exégètes féministes, bien au-delà des seules structures communautaires ; elle porte en germe une remise en cause profonde du système patriarcal sur lequel reposait la société toute entière. Si la mise en pratique d’un tel projet est peut-être restée très limitée, un tel appel pour une organisation alternative au modèle dominant a contribué à distinguer les communautés de croyants de l’ensemble de la société, un processus de différenciation dont les croyants ont pu avoir conscience, et qu’il convient d’articuler avec une perspective universaliste. Le baptême symbolise une nouvelle création dans laquelle toutes et tous sont invités à entrer. [...]
La proclamation de Galates 3,28 constate une abolition des distinctions et une unité en Christ dans le présent du baptême. Pour Robbin Scroggs et Adewale J. Adelakun par exemple, le baptême est une étape, un moment eschatologique qui permet d’engager et d’accélérer l’advenue d’une égalité complète, devant Dieu, dans les communautés, dans l’ensemble de la société. Ainsi, Denis Fricker estime que la formule de Galates 3,28 peut aussi être comprise comme donnant un horizon à la situation présente, afin de la transformer. L’eschaton n’est pas rejeté dans l’inaccessible, mais a déjà commencé. Denis Fricker écrit : « La déclaration ‘il n’y plus l’homme et la femme’ en Galates 3,28 s’inscrit dans le contexte plus large de la formation et de l’organisation des premières communautés chrétiennes. A ce titre, elle n’échappe pas à une tension inhérente au christianisme entre l’affirmation d’un idéal et les réalités de son incarnation dans des structures humaines et communautaires. Faut-il alors parler d’utopie, au sens courant d’un plan sur la comète ou au sens plus historique du terme, c’est à dire un ‘système de conceptions idéalistes des rapports entre l’homme et la société, qui s’oppose à la réalité présente et travaille à sa modification’ ? Cette seconde définition nous semble plus adaptée à la réalité des textes qui proposent une tension et non un simple rêve. Il y a donc un défi à relever, celui d’explorer au mieux les possibilités ouvertes par le texte biblique et d’en tirer parti pour les situations présentes. »
Elaine Pagels juge quant à elle […] que Paul ne devait pas porter de projet émancipateur des femmes, ni des esclaves. Pour ces derniers, il a rédigé davantage de textes où il les encourage à supporter leur condition que d’appels à leur affranchissement. [...]
La référence au premier récit de la Création, en Genèse 1, pour annoncer la remise en cause d’un geste créateur de Dieu, interpelle. En effet, ces premiers versets de la Genèse posent une dynamique fondatrice, notamment pour le judaïsme : créer consiste à distinguer, à séparer, à délimiter. La naissance de l’humain, à la fois mâle et femelle, suggère une binarité à venir, mais non encore accomplie. Le second récit de la Création, en revanche, est davantage compris et utilisé pour justifier une distinction effective et une précédence de l’homme sur la femme, notamment par Paul. [...]
Dans l’Antiquité, certains considéraient qu’aux origines, l’être humain n’était pas encore séparé entre êtres masculins et êtres féminins ; Genèse 1,27 peut rendre compte de cette indifférenciation première appelée à être transformée. En conséquence, quand la formule employée par Paul en Galates 3,28 mentionne l’abolition de la potentialité de différencier mâle et femelle dans l’humain, il est compréhensible que des groupes aient compris que dans la nouvelle création eschatologique, les distinctions biologiques disparaissent au profit d’un humain sans éléments sexuels distincts, androgyne. [...]
L’humain androgyne originel serait, en suivant ces versets de la Genèse, à l’image de Dieu. Or comme les baptisés forment le corps du Christ, était-il possible que certains des premiers croyants aient donné un caractère androgyne à la figure christique ? [...]
Si la péricope de Galates 3 a donc beaucoup été interprétée comme signifiant que le baptême et la vie communautaire des baptisés conduisaient à faire abstraction d’un certain nombre de distinctions opérationnelles par ailleurs dans la vie quotidienne, puis comme remettant en cause un certain nombre de conventions et de structures sociales au point d’être dangereusement subversif, un présupposé demeurait. Dans des perspectives féministes et postcoloniales, le verset accorde aux femmes et aux esclaves des droits équivalents à ceux des hommes et des maîtres, aux Grecs les mêmes privilèges (dans la relation à Dieu) que les Juifs héritiers des promesses de Dieu à leurs ancêtres. Dans cette ‘mise à niveau’, nous avons tendance à attendre un ‘nivellement vers le haut’ des statuts sociaux. En fait, les chercheur-e-s constatent (récemment, depuis les années 2000) que cet ajustement était problématique pour les hommes, qui perdaient des privilèges rituels, ainsi qu’une marque physique de ces privilèges. Sans circoncision mais avec un baptême administré tant aux femmes qu’aux hommes, l’auto-compréhension masculine (en d’autres termes, la construction de la masculinité) est altérée. […] Lone Fatum, rejointe par Brigitte Kahl, avait identifiée elle aussi que le problème que Paul cherchait à résoudre dans son argumentaire pour dissuader les Galates d’adopter la circoncision est strictement masculin, même si Paul lui-même n’en était pas nécessairement conscient. »
D. Veldhuizen, Les exégèses féministes de Paul, un bilan, 2015.
Question
Pendant plusieurs décennies, certaines féministes se sont demandées si l’on pouvait « sauver » Paul de la misogynie ou de la mentalité patriarcale suggérée par plusieurs de ces écrits. Mais le sort de l’apôtre nous importe peu. Mais ne s’agit-il pas plutôt de nous demander dans quelle mesure ses lettres nous permettent de discerner une Bonne Nouvelle pour aujourd’hui, y compris concernant les relations entre femmes et hommes ? Qu’en pensez-vous ?
texte spirituel
(écrit d’une manière un peu provocatrice, ce texte nomme Yel le dieu d’Israël en combinant les noms de Yahwé (d’où le Y) et de El (“dieu” en hébreu). Le titre de l’Éternel.le revient à donner au nom de Dieu des formes masculine et féminine à la fois.
L’Éternel notre Dieu, l’Éternelle notre Déesse nous l’annonce,
Yel a créé les humains pour être debout,
au-delà de toutes nos considérations humaines.
Iel nous pardonne quand nous nous attachons aux étiquettes,
mais Yel nous souhaite de vivre libres,
libres des étiquettes que les autres nous imposent,
libres des étiquettes que nous leur imposons,
libres des étiquettes que nous nous imposons à nous-mêmes.
Grecs, Juifs, Hommes, femmes, Esclaves, personnes libres,
Pas d’étiquettes dans le cœur de l’Éternel·le !
Seulement une grande force de pardon et d’amour, de Vie en abondance.
Dieu nous aime.
Amen.
Gwendoline Noël-Reguin (Vie & Liturgie n°118, 2020)
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