10- Avec l’apôtre Paul : la métaphore conjugale

21 Soumettez-vous les uns aux autres dans la crainte du Christ ; 22 ainsi les femmes à leur mari, comme au Seigneur ; 23 car l'homme est la tête de la femme, comme le Christ est la tête de l’Église, qui est son corps et dont il est le Sauveur ; 24 en tout cas, comme l’Église se soumet au Christ, qu'ainsi les femmes se soumettent en tout à leur mari.

25 Maris, aimez votre femme comme le Christ a aimé l’Église : il s'est livré lui-même pour elle, 26 afin de la consacrer en la purifiant par le bain d'eau et la Parole, 27 pour faire paraître devant lui cette Église glorieuse, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et sans défaut. 28 De même, les maris doivent aimer leur femme comme leur propre corps. Celui qui aime sa femme s'aime lui-même.

29 Jamais personne, en effet, n'a détesté sa propre chair ; au contraire, il la nourrit et en prend soin, comme le Christ le fait pour l’Église, 30 parce que nous faisons partie de son corps. 31 C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux seront une seule chair. 32 Il y a là un grand mystère ; je dis, moi, qu'il se rapporte au Christ et à l’Église. 33 Quoi qu'il en soit, que chacun de vous aime sa femme comme lui-même, et que la femme respecte son mari.

Éphésiens 5,21-33 (traduction Nouvelle Bible Segond)


Relevez tous les verbes à l’impératif ou employés comme impératif. Pour chacun d’eux, relevez à qui il s’adresse. Combien s’adressent uniquement à des femmes ? A des hommes ? A des groupes indéfinis ? Qu’en pensez-vous ?

Que dit l’auteur de l’épître du Christ ? De l’Église ? De la relation qui les unit ? Quels points communs identifie-t-il entre cette relation et celle d’un couple ? Trouvez-vous pertinent chacun de ces rapprochements ?

Le verset 31 est une citation de Genèse 2,24. Relevez-en les trois verbes. Dans quelle mesure correspondent-ils au parcours du Christ ? Pensez-vous que les rédacteurs de la Genèse aient voulu parler du Christ et de l’Église avec ce verset ?

Diriez-vous que ce texte veut plutôt parler des relations conjugales, ou des relations entre le Christ et l’Église ? Parvient-il à son objectif ?


Deux remarques préalables peuvent être formulées […]. La première est que l’auteur biblique ne se livre pas à une réflexion sur ce que sont, dans leur essence, le Christ, l’Église, le mari, la femme. Il développe certes une analogie, mais une analogie qui porte sur la relation entre les protagonistes d’une alliance : la relation au sein de l’alliance entre le Christ et l’Église, la relation au sein de l’alliance entre le mari et la femme. Ou dit inversement, la relation qui serait souhaitable entre mari et femme devrait être, selon l’auteur, analogue à celle qui existe entre le Christ et l’Église. Parler d’analogie de relation permet dans un premier temps de souligner que des identifications personnelles pures et simples ne sont pas possibles : il serait tout autant absurde de dire que le mari est le Christ que la femme est l’Église. Si tel était le cas, on serait conduit à extrapoler et à dire, par exemple, que le mari est le Sauveur de sa femme… La seconde remarque est de constater une certaine disproportion entre les paroles adressées au mari et les paroles adressées à l’épouse. Si l’un et l’autre font l’objet d’une ‘correction fraternelle’, l’auteur a visiblement davantage à dire au mari qu’à la femme, ce qui est bien souvent occulté. C’est dire combien ce que nous retenons de ce passage est marqué par notre lecture et ses présupposés. […]

La lettre évoque plusieurs relations d’autorité d’ordre juridique : la femme/le mari, les enfants/leurs parents (6,1-4), les esclaves/leur maîtres (6,5-9). Ces relations relèvent en effet d’un code domestique touchant l’organisation d’une maisonnée. Certains commentateurs préfèrent alors parler non pas de lien de soumission, mais de lien de subordination, qui situe la relation dans un registre fonctionnel de l’autorité. Les maris, parents et maîtres sont détenteurs de droits que n’ont pas les femmes, les enfants, les esclaves. […] S’agissant de la subordination des épouses, la lettre ne remet pas en question la hiérarchie sociale de l’époque établie par le droit romain. A ce niveau, les rapports inégalitaires subsistent bien. Mais une perspective se dégage. Ces rapports inégalitaires sont croisés avec ce principe de base, en communauté chrétienne, que l’auteur de la lettre établit très massivement, celui de la subordination mutuelle (v. 21). Ce principe de base est compréhensible dans la mesure où le Christ est le Seigneur de son Église. La reprise du thème de la subordination entre un mari et sa femme sert l’affirmation de l’auteur concernant la Seigneurie du Christ sur son Église. D’un point de vue théologique, l’Église est évidemment subordonnée au Christ. En son sein, personne ne peut prendre la place du Christ, être tête à sa place. Le principe de la subordination mutuelle s’applique à tous et toutes. L’injonction faite aux femmes n’affranchit pas les maris de ce principe ; réciproquement, la subordination mutuelle vient appuyer l’injonction faite aux femmes. Les rapports socialement inégalitaires entre le mari et son épouse sont également croisés avec le thème du respect du Christ : tous deux membres de l’Église, le Christ est pour l’un comme pour l’autre celui qui indique le chemin. […]

L’autorité des maris est désormais marquée par la manière du Christ lui-même d’être Seigneur, tête de son Église. Or, dans ce passage, très explicitement, l’autorité du Christ tient tout entière dans le don, suscité par l’amour, qu’il fait de lui-même. C’est l’amour qui conduit son autorité. La notion d’amour n’est pas étrangère à la compréhension du mariage dans le droit romain […]. Le chapitre 5 de la lettre aux Éphésiens commence par un véritable impératif de l’amour, et cela en imitation du Christ : ‘Imitez donc Dieu, comme des enfants bien-aimés, et vivez dans l’amour, tout comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même à Dieu pour nous en offrande et en sacrifice, comme un parfum de bonne odeur’ (5,1). Les versets qui s’adressent aux maris reprennent, sur le fond, ce thème de l’imitation du Christ : ils disent toute l’attention que porte le Christ à son Église, et particulièrement ce qu’il a fait pour elle. De manière analogue, les maris sont pressés d’approfondir le sens de leur lien d’autorité et d’envisager ce qu’ils ont à faire pour leur épouse. L’amour dont il est question est rendu par le terme d’agapè, terme qui inclut la notion de respect et rompt avec toute idée de domination autoritariste.

L’analogie mari/épouse et Christ/Église rebondit sur la comparaison avec le corps, qui fonctionne comme cheville ouvrière vers la citation biblique. L’auteur, de manière très concise, établit que : a) l’Église est corps du Christ et est aimée de Lui, car le Christ aime son propre corps – ensemble, ils forment une seule chair. b) Le mari doit aimer son épouse comme son propre corps (v. 28), comme le Christ aime son Église. c) Sans oublier que les deux sont membres du corps du Christ (v. 30). Ce troisième élément rappelle que l’appartenance de chacun·ne à l’Église corps du Christ ne dépend pas du mari, car elle s’enracine dans le baptême. […]

De façon décalée, l’auteur convoque la citation [de Genèse 2,24] pour parler de la relation du Christ à son Église (qu’il appelle un ‘grand mystère’). Ce qui semble d’importance pour l’auteur, et qui demeure du registre de la relation est, en dernière analyse, de parler de l’unité. En effet, l’unité est, ici, ce qui caractérise le couple Christ-Église. Ainsi, le principe de la subordination mutuelle, le lien de subordination entre épouse et mari, la métaphore du corps et de la tête, l’amour du mari pour sa femme, semble être tout ce que l’auteur de la lettre mobilise pour construire l’unité de la communauté chrétienne et du couple, à l’image de l’unité du Christ et de son Église. »

Bettina Schaller, « Il y a subordination et il y a subordination ! » in Une Bible des femmes, Elisabeth Parmentier, Pierrette Daviau et Lauriane Savoy (dir.), Labor et Fides, 2018

texte spirituel


Si nous devions choisir notre place

dans le Corps du Christ,

ne désirons nullement être l’œil

ou la main,

ni même l’oreille.

Le Christ ordonne admirablement

son ouvrage et nul ne peut lui dire :

« Je veux être ceci ou cela »,

mais il permet que l’on désire.

Si donc nous pouvons désirer,

désirons d’être les jointures,

les lieux cachés

où s’articulent toutes les parties

afin que nous prenions part

à sa paix,

aux profondeurs de cette Église

qui est son corps. 


Règle de la Communauté 

des Sœurs diaconesses (protestantes)

de Reuilly




 


pour aller plus loin…


histoire et sociologie

Germaine Tillon, le Harem et les cousins, Le Seuil, Paris, 1966

Christian David, L'état amoureux, Payot, 1971

Françoise Héritier, Masculin-Féminin I . Penser la différence, Paris, Odile Jacob, 1996

Françoise Héritier, Masculin-Féminin II . Dissoudre la hiérarchie, Paris, Odile Jacob, 2002

Pierre Bourdieu, La domination masculine, Seuil, Paris, 2002

Sylviane Agacinski, Métaphysique des sexes, Seuil, 2007

Collectif sous la direction de Sabine Melchior-Bonnet et Catherine Salles, Histoire du mariage, Bouquin, Robert Lafond, 2009

Françoise Héritier, Hommes, Femmes : la construction de la différence, Paris, Le Pommier, 2010

Sylviane Agacinski, Femmes entre sexe et genre, Paris, Seuil, 2012

Actes des Rencontres des Semaines Sociales de France, Hommes et femmes, la nouvelle donne, Paris, Bayard, 2013

Laure Berenni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait, Anne Revillard, Introduction aux études sur le genre, Bœck, 3ème édition, 2020

Anne Augereau, Femmes néolithiques, CNRS éditions, Paris 2021


philosophie / témoignages

Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, Livre de Poche, 1986

Gisèle Halimi, La cause des femmes, Grasset, Paris, 1973

Joan Scott, De l'utilité du genre, Fayard, Paris, 2012


Bible et théologie

Claudette Marquet, Femme et homme, il les créa, Les Bergers et les Mages, Paris, 1984

Monique Dumais, Les femmes dans la Bible, édition Paulines, Montréal 1985

Olivette Genest, "Femmes et ministères dans le Nouveau Testament", Studies in Religion / Sciences religieuses, 16.2, 1987, p. 7-20

Gérald Caron, dir., Des femmes aussi faisaient route avec lui : perspectives féministes sur la Bible, Médiaspaul, Montréal, 1995

Luisa Muraro, Le Dieu des femmes, Lessius, Bruxelles 2006

Lytta Basset, Aimer sans dévorer, Albin Michel, Paris, 2010

Collectif sous la direction d'Élisabeth Parmentier, Une bible des femmes, Genève, Labor et Fides, 2018

Luca Castiglioni, Filles et fils de Dieu. Une manière d'articuler égalité baptismale et différence sexuelle, Cogitatio Fidei, Cerf, 2020

Chantal Reynier, Les femmes de Saint Paul, Le Cerf, Paris 2020

Collectif sous la direction de Denis Fricker et Élisabeth Parmentier, Une Bible. Des hommes; Genève, Labor et Fides, 2021

Valérie Duval Pujol, La Bible est-elle sexiste ?, Empreinte, 2021


les aventures de Mafalda, du dessinateur argentin Quino, sont publiées en français par les éditions Glénat

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